NB: Une version améliorée de cette nouvelle à été publiée en mai 2000 dans le magazine Login.

Joute

" - ... Je resume donc mon argumentation: depuis les siecles que la Science reduit le territoire de l'obscurite, nous avons peu a peu decouvert que l'Homme etait parent des autres formes de vies, elles-meme issues du mineral. Il existe meme des tentatives de simulation de cette transition premiere. Sur un autre plan, on a peu a peu decortique les fonctions humaines, pour separer les systemes senseurs, effecteurs, nourriciers, thermo-regulateurs et nerveux. Le cerveau lui-meme, si l'on n'en comprend pas encore tous les entrelacs, est constitue d'unites dont nous connaissons en detail et la structure et le fonctionnement. Il n'y a donc pas de place pour votre `liberte' dans le processus: en entree des perceptions, en sortie des actes, et entre les deux de subtils mecanismes d'autant moins lisibles qu'ils se sont structures par la lente accretion de l'evolution, pour laquelle la simplicite n'a jamais ete un critere pertinent. Mais mecanismes neanmoins, meme si le hasard, la faible fiabilite des liaisons neuronales, a sans doute aussi sa place. Qu'en dites-vous ?

- Mon ami, il n'y a rien de refutable dans ce que vous venez de dire, et j'aurais pu moi-meme produire ce resume des connaissances actuelles. Et pourtant a l'evidence, meme pour vous -si vous voulez bien etre un tant soit peu honnete avec vous meme-, il est incomplet. Je veux evoquer ici le probleme de la conscience: toute cette mecanique pourrait certes expliquer les comportements humains sans necessite de conscience. Et pourtant elle est la, vous le savez comme moi, vous le ressentez comme moi. Ce juge contemplatif, inutile en lui-meme, cet oeil interieur ne procede pas de ces mecanismes puisqu'il les survole, en quelque sorte. Et pourtant il peut influer -donc controler- cette mecanique puisque je puis exprimer cette conscience a l'aide de mon larynx. Elle est la, la liberte, tout simplement...

- Je... je dois dire que... je ne trouve rien a redire a cela. "

Eric de La Taraudiere se leva de son siege, l'air defait. Le grand logiciel Sargon-57 venait de battre le vingt-troisieme philosophe consecutif de ces 4iemes Joutes de Philosophie...

Fabrice NEYRET, le 03/10/95



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