Plus haut

Mei-Lee s'etait toujours demandee ce que l'on pouvait voir de tout la-haut. Elle essaya de deviner le sommet de l'arbre, mais la clarte lunaire ne lui laissait distinguer que les premieres ramures, le reste se fondait dans la silhouette. Le grand arbre etait son ami depuis toujours, et sa presence l'apaisait. Elle reprima un dernier hoquet de sanglot et pu commencer a reprendre son souffle. Il n'y avait plus aucun bruit, mais elle ne se sentait pas en securite en bas.

Deja elle entreprenait d'escalader le large tronc fissure, attrapant un petit moignon de branche a bout de bras tout en prenant appui sur un coude de l'ecorce a hauteur de genou. Ses pieds et ses mains savaient d'instinct ou se poser, elle s'etait tant de fois deja refugiee dans les bras de l'arbre. Quand sa mere l'avait grondee, quand elle avait du chagrin, ou quand on lui avait dit que son frere Kai-Tchan ne reviendrait pas. Elle etait maintenant dans sa forteresse, assise sur une branche maitresse a cinq ou six metres du sol. Il faisait noir en bas et tout autour, seule la ramure des branches se decoupait dans le ciel luminescent. Mais elle etait adossee au tronc, blottie dans les bras de l'arbre. Elle sentait sa rassurante presence tout autour d'elle, presque de la chaleur. Cela lui rendait l'esprit calme.

Elle resta quelques temps ainsi, regardant la lune dans une trouee du feuillage. Elle en oubliait presque ce a quoi il ne fallait surtout pas penser. Puis elle se dit qu'elle n'avait presque jamais ete plus haut. Elle se redressa sur la branche, lu un instant l'ecorce pour trouver le meilleur chemin, puis s'y engagea resolument. Plus haut dans l'arbre, les branches etaient plus courtes, mais de la on pouvait voir la clairiere. Elle regarda un peu, mais la position n'etait pas tres confortable et elle repris son ascension. A un moment elle se dit qu'elle n'etait encore jamais montee si loin dans l'arbre. Mais elle continua avec tranquillite. De toute facon, vers le bas il n'y avait que le froid et la peur, c'etait encore trop proche du monde des humains.

Les branchages redevenaient plus touffus, et l'endroit constituait une nouvelle plateforme, un peu plus reduite que celle qu'elle occupait habituellement en bas de l'arbre. Elle pensa qu'elle avait ete bien bete de ne pas avoir songe plus tot a visiter toutes les pieces de son chateau. Mais deja ce poste avance lui paraissait limite, et Mei-lee continua plus haut. La haut il faisait encore plus calme, moins triste. La haut etait l'espoir, ca semblait tellement clair.

Le tronc etait maintenant moins epais qu'elle, et les branches nettement plus petites. Mais elles etaient plus serrees, ce qui rendait l'escalade aussi facile voire plus reguliere. Il n'y avait plus guere de feuillage pour la separer du vide, c'etait comme si elle s'etait trouvee dans un arbrisseau. Elle sentait qu'elle avait depasse le coeur de l'arbre, sa chaleur semblait venir d'en bas. Mais la lumiere etait plus haut, elle y etait presque, la ou l'arbre du bout du doigt rejoignait le ciel.

Elle grimpait plus doucement, maintenant. Les branches, trop petites, se cassaient sous ses pieds et la faisaient deraper. Le tronc etroit se courbait a chacun de ses gestes. Malgre le calme de l'air, une legere brise l'atteignait et la refroidissait. Mais elle n'en n'avait plus conscience. La, elle touchait presque le ciel. De toute facon, elle ne pouvait pas monter plus haut.

Elle regarda tout autour. L'arbre etait vraiment plus haut que les autres, et dominait largement ce coin de la foret. Elle regarda un peu a regret vers le village, dans le lointain. On n'aurait pas du pouvoir le distinguer dans le noir, mais elle n'avait pas besoin de chercher: une lueur rougeoyante en marquait l'emplacement sur une large surface, et l'epaisse fumee formait comme une brume noire dans le ciel. Mei-lee parut un peu melancolique. Puis elle leva la tete, le regard presque a la verticale, pour trouver la lune qui au dessus de sa tete irradiait tout le ciel. Elle sourit a sa froide lumiere; comme la froideur du disque blanc etait attirante... Elle n'avait jamais remarque comme la lune semblait lui ouvrir les bras, ou peut-etre etait-ce juste cette nuit-la, juste pour elle. C'etait plus puissant que l'appel de l'arbre, et que son simple reconfort. C'etait la musique silencieuse et envoutante de l'oubli. Son sourire illumina alors son visage. Elle tendit le bras vers le large disque phosphorescent, et lacha l'arbre pour le rejoindre.

Fabrice NEYRET, le 23/02/96



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